L'Aigle, la Laie, et la Chatte
JEAN de LA FONTAINE
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L'Aigle avait ses petits au haut d'un arbre creux. La Laie au pied, la
Chatte entre les deux ; Et sans s'incommoder, moyennant ce partage,
Mères et nourrissons faisaient leur tripotage. La Chatte détruisit par
sa fourbe l'accord. Elle grimpa chez l'Aigle, et lui dit : Notre mort
(Au moins de nos enfants, car c'est tout un aux mères) Ne tardera
possible guères. Voyez-vous à nos pieds fouir incessamment Cette maudite
Laie, et creuser une mine ? C'est pour déraciner le chêne assurément, Et
de nos nourrissons attirer la ruine. L'arbre tombant, ils seront dévorés :
Qu'ils s'en tiennent pour assurés. S'il m'en restait un seul,
j'adoucirais ma plainte. Au partir de ce lieu, qu'elle remplit de crainte,
La perfide descend tout droit A l'endroit Où la Laie était en
gésine. Ma bonne amie et ma voisine, Lui dit-elle tout bas, je vous
donne un avis. L'aigle, si vous sortez, fondra sur vos petits :
Obligez-moi de n'en rien dire : Son courroux tomberait sur moi. Dans
cette autre famille ayant semé l'effroi, La Chatte en son trou se retire.
L'Aigle n'ose sortir, ni pourvoir aux besoins De ses petits ; la Laie
encore moins : Sottes de ne pas voir que le plus grand des soins, Ce
doit être celui d'éviter la famine. A demeurer chez soi l'une et l'autre
s'obstine Pour secourir les siens dedans l'occasion : L'Oiseau Royal, en
cas de mine, La Laie, en cas d'irruption. La faim détruisit tout : il ne
resta personne De la gent Marcassine et de la gent Aiglonne, Qui n'allât
de vie à trépas : Grand renfort pour Messieurs les Chats.
Que ne sait point ourdir une langue traîtresse Par sa pernicieuse adresse
? Des malheurs qui sont sortis De la boîte de Pandore, Celui qu'à
meilleur droit tout l'Univers abhorre, C'est la fourbe, à mon avis.
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