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CES PASSIONS
PAUL VERLAINE

Parallèlement « 1886 »
Ces passions qu'eux seuls nomment encore amours
Sont des amours aussi, tendres et furieuses.
Avec des pacturalités curieuses
Que n'ont pas les amours, certes ! de tous les jours.

Même plus qu'elles et mieux qu'elles héroïques,
Elles se parent de splendeurs d'âme et de sang,
Telles qu'au prix d'elles les amours dans le rang
Ne sont que Ris et Jeux ou besoins érotiques,

Que vains proverbes, ou rien d'enfants trop gatés.
Ah ! les pauvres amours banales, animales,
Normales ! Gros goûts lourds ou frugales fringales,
Sans compter la sottise et des fécondités !

Peuvent dire ceux-là que sacre le haut Rite,
Ayant conquis la plénitude du plaisir,
Et l'insatiabilité de leur désir
Bénissant la fidélité de leur mérite.

La plénitude ! Ils l'ont superlativement :
Baisers repus ! gorgés, mains, privilégiées
Dans la richesse des caresses repayées.
Et ce divin final anéantissement !

Comme ce sont les forts et les forts, l'habitude
De la force les rend invaincus au déduit.
Plantureux, savoureux, débordant le déduit !
Je le crois bien qu'ils l'ont, la pleine plénitude !

Et pour combler leurs voeux chacun d'eux tour à tour
Fait l'action suprême, a la parfaite extase.
Tantôt la coupe ou la bouche, et tantôt le vase, -
Pâmé comme la nuit, fervent comme le jour.

Leurs beaux ébats sont grands et gais. Pas de crises :
Vapeurs, nerfs. Non des jeux courageux, puis d'heureux
Bras las autour du coup, pour de moins langoureux
Qu'étroits sommeils à deux, tout coupés de reprises.

Dormez les amoureux ! tandis qu'autour de vous
Le monde inattentif aux choses délicates
Bruit ou gît en somnolences scélérates,
Sans même (il est si bête !) être de vous jaloux.

Et ces réveils francs, clairs, riants, vers l'aventure
De fiers damnés d'un plus magnifique sabbat ?
Et salut, témoins purs de l'âme en ce combat
Pour l'affranchissement de la lourde nature !