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LES SOEURS DE CHARITÉS
ARTHUR RIMBAUD
Le jeune homme dont l'oeil est brillant, la peau brune,
Le beau corps de vingt ans qui devrait aller nu
Et qu'eut, le front cerclé de cuivre, sous la lune,
Adoré, dans la Perse, un Génie inconnu,

Impétueux avec des douceurs virginales
Et noires, fier de ses premiers entêtements,
Pareil aux jeunes mers, pleurs de nuits estivales
Qui se retournent sur des lits de diamants ;

Le jeune homme, devant les laideurs de ce monde,
Tressaille dans son coeur, largement irrité,
Et, plein d'une blessure éternelle et profonde,
Se prend a désirer sa soeur de charité.

Qu'il croie aux vastes fins, Rêves ou Promenades
Immenses, à travers les nuits de Vérité,
Et t'appelle en son âme et ses membres malades,
O Mort mystérieuse, ô soeur de charité.

Mais, ô femme, monceau d'entrailles, pitié douce,
Tu n'est jamais la Soeur de charité, jamais,
Ni regard noir, ni ventre où dort une ombre rousse,
Ni doigts légers, ni seins splendidement formés.

Aveugle irréveillée aux immenses prunelles,
Tout notre embrassement n'est qu'une question :
C'est toi qui pends à nous, porteuse de mamelles
Nous te berçons, charmantes et grave Passion.

Tes haines, tes torpeurs fixes, tes défaillances,
Et les brutalités souffertes autrefois,
Tu nous rends tout, ô Nuit pourtant sans malveillances,
Comme un exès de sang épanché tous les mois.